Quand fable et rumeur éveillent les consciences
Anne Guiot, directrice de Karwan, nous plonge dans l’univers fascinant de "Monstre y es-tu ?", un projet d’engagement écologique dont l’ambition est de transformer notre regard sur le réel, interroger, émouvoir et éveiller les consciences sur les enjeux environnementaux, mais pas que…
Comment est né ce projet captivant ?
L’idée de cette fable est née en 2021 au sein de notre équipe. Nous voulions éveiller les habitants, en particulier les jeunes, à la fragilité et à la richesse des écosystèmes de cette "petite mer intérieure" qu’est l’Etang de Berre. Le projet du monstre est rapidement devenu ambitieux avec la création et la « vie » du monstre, le travail sur la rumeur, la création d’un récit.
Il était impossible de construire ce projet avec de petits morceaux de puzzle… En conséquence, il nous fallait un partenaire principal. C’est la Métropole d’Aix Marseille Provence qui nous a apporté ce soutien que nous avons bien sûr élargi à d’autres financements : Région, Département, DRAC mais aussi les villes partenaires, des collèges, des centres sociaux, des associations.
Dans sa conception même, ce projet a été conçu pour les jeunes. Nous voulions les rendre complices et actifs dans l’élaboration de cette légende. Ainsi, des « barons » des clubs nautiques ont aidé à faire vivre le monstre, des Rouletabille ont mené l’enquête avant de passer à la phase écriture, des apprentis-journalistes ont observé la montée en puissance de la rumeur.
Quelles étapes ont rythmé ce projet ?
Nous sommes passés à l’action en septembre 2023 avec Théo Sanson, un artiste funambule très engagé pour l’environnement et marin aguerri, qui a conçu le monstre à partir de déchets de l’étang. Les enfants des clubs nautiques associés ont été formés pour le déplacer et le faire vivre dans les différentes communes de l’étang de Berre. En parallèle, nous n’avons eu de cesse, avec nos partenaires du GIPREB et de l’Institut Pythéas, de publier des posts scientifiques sur la biodiversité, la pollution et interroger les dérèglements écologiques, dont ce monstre pourrait être l’expression.
Ensuite, nous avons orchestré une rumeur. Plutôt que d’annoncer nous-mêmes l’existence du monstre, nous avons organisé une conférence de presse pour annoncer la légende. Seulement au fur et à mesure, l’information s’est délitée, dans ces grands organes de presse et les communiqués ont peu à peu été pris au sérieux ! D’autant plus au sérieux que ces communiqués, co-écrits avec Karwan, émanaient des collectivités…
Comment distinguer cette rumeur d’une fake news ?
Nous n’avons jamais menti ; nos communiqués interrogeaient simplement l’existence d’un monstre, respectant ainsi un accord éthique avec les journalistes.
Seulement la rumeur s’est peu à peu propagée… d’abord par des textos entre particuliers jusqu’à une chronique de BFMTV qui interroge, de façon très habile, sur l’existence d’un monstre. Et là, c’est la flambée ! 470 000 vues sur les réseaux sociaux, la presse nationale (Le Monde, le Figaro) et internationale s’en empare jusqu’à ce qu’on dévoile le fait qu’il s’agit d’un projet culturel.
Quels ont été les défis rencontrés ?
Ce projet, à la frontière de l’imaginaire et du réel, a suscité des débats. Nous avons navigué avec soin entre créativité et responsabilité médiatique. La presse, confrontée à ce mélange inédit, a dû jongler avec ses propres principes déontologiques.
En janvier 2024, l'écriture de la fable prend vie.
La rumeur a ouvert un dialogue, suscitant crainte puis adhésion à la légende de la part des habitants. Nous avions également beaucoup de matière à exploiter. Avant tout, cette rumeur a servi à alimenter l’imaginaire de 4 classes de 6ème et 5ème qui ont co-écrit un polar avec l’autrice Sophie Rigal-Goulard. Cette histoire a été publiée en feuilleton dans "La Provence", se concluant par une invitation à découvrir le dernier épisode lors d’un événement festif sur la plage de la Romaniquette à Istres. Mais la rumeur a aussi fait l’objet d’un parcours d’Education aux Media et à l’Information avec des jeunes d’un centre social et d’une association dédiée à l’image.
Quels indicateurs de succès avez-vous observés ?
Des propositions spontanées pour participer à l’événement du 9 juin ont afflué, comme celles du bureau des guides ou de l’école d’art municipal de Vitrolles, qui a décidé de créer son propre monstre ! Nous avons également été récompensé.e.s par le prix de l’Audace artistique et culturelle, permettant à un groupe de jeunes de monter à Paris et de découvrir le Musée du Quai Branly sans oublier un passage devant la Tour Eiffel et d'immortaliser l’aventure à travers un film. Plus important encore, les enfants qui ont participé ont développé une conscience accrue de l'environnement.
Si on considère l’ensemble du projet, ce sont près de 300 jeunes, dont 9 classes, et une vingtaine de structures qui auront été mobilisées, de nombreux partenaires et collectivités qui nous ont suivis.
C’est quoi la suite ?
Nous avons écrit cette fable pour et dans l’espace public, elle appartient désormais au domaine public, libre à chacun de s’en emparer collectivement ou individuellement. Nous sommes très contents que ce message d’une légende à abonder et faire évoluer ait été entendu. Des collectivités soutiennent cette perspective auprès de leurs administrés et de leurs agents. Le club nautique de Vitrolles, particulièrement impliqué dans la réalisation du projet, souhaite faire un petit musée de son histoire avec le monstre.
Ce projet soulève également des questions sociologiques sur la gestion de la rumeur dans les médias, qui mériterait une analyse approfondie.