De l’écologie à l’écologie de la relation
Elise Vigneron, metteuse en scène, marionnettiste et plasticienne du Théâtre de l’Entrouvert, explore les possibles de la glace comme matière artistique et support de dialogue sensible. Elle a créé un cycle qui l’a amenée à travailler avec Maurine Montagnat, glaciologue à l’IGE de Grenoble. Elle partage avec nous son parcours et ses réflexions sur l’écologie, l’art et les liens entre les individus.
Pourquoi avoir choisi de travailler la glace ?
Je suis marionnettiste mais aussi plasticienne, j’aime travailler la matière et je cherchais qui provoque des états émotionnels chez les spectateurs sans tomber dans l’anthropomorphisme. La glace s’est imposée par sa nature éphémère et ses changements d’état — de l’état solide à l’état liquide puis à l’état gazeux. On y lit une métaphore de la transformation. Cette matière vit, se mue, et engage une poétique propre à éveiller un imaginaire commun.
En 2019, au Festival d’Avignon, en pleine canicule, vous jouez Axis Mundi, une pièce co-créée avec la danseuse Anne Nguyen, qui mettait en scène des écrans de glace qui fondaient à l’air libre. Quelle a été la réaction des spectateurs face à ce matériau ?
Pour nous, ce projet n’avait rien d’un message à visée écologique, et pourtant, l’ensemble des spectateurs y a lu spontanément le miroir de notre monde actuel, soumis au réchauffement climatique. Grâce à ces retours, j’ai réalisé que la glace avait cette faculté de susciter, par le biais de la sensation, un rapport empathique qui provoquait une prise de conscience directe et immédiate des problématiques environnementales.
J’ai eu envie à la suite de cette expérience de continuer à explorer les possibles de cette matière à travers un cycle de spectacles mêlant 3 propositions artistiques… et puis Le Citron Jaune m’a proposé de créer une forme duo Logo avec un scientifique…
C’est à cette occasion que vous avez entrepris une collaboration avec la glaciologue Maurine Montagnat ?
Effectivement. J’ai contacté Maurine Montagnat, qui est glaciologue à l’IGE de Grenoble. Je l’avais déjà rencontrée en 2011 lors d’un temps de rencontre entre artistes et scientifiques organisé à l’université de Grenoble. Par la suite, nous avons échangé sur certaines difficultés que je rencontrais dans la construction d’objet ou marionnette de glace. Nous avons saisi cette opportunité de créer un spectacle ensemble comme le moyen de vraiment réinterroger nos pratiques. La création s’est élaborée durant la période de la pandémie de COVID-19. Nous souhaitions proposer une forme artistique qui mêle nos deux recherches sur ce même matériau à partir de nos cadres et outils de travail spécifiques : moi celui de l’atelier de fabrication avec mes objets de glace, elle celui du laboratoire de glaciologie avec ses outils de mesures, ses instruments, ses expéditions.
Nous sommes vraiment parties de nos réalités pour mettre en lumière nos questionnements entremêlés à d’autres voix de praticiens de la glace (climatologue, escaladeur de cascade de glace, lanceur d’alerte) afin d’aborder des thématiques plus larges tels que le réchauffement climatiques, l’impermanence, la nécessité d’adaptation…
Un temps d’échange avec le public suit la représentation. Une relation très horizontale avec le public est mise en place qui libère la parole, les spectateurs se sentent libres et sans complexes de poser toutes sortes de questions. Ce temps est important car il ouvre le dialogue et impulse une pensée collective sur des sujets qui nous préoccupent tous individuellement.
Comment avez-vous travaillé l’impact écologique de ces créations et de vos tournées ?
J’ai déjà un engagement écologique fort dans ma vie personnelle et j’essaie au mieux de prendre en compte ces préoccupations dans mon travail au quotidien au sein de la compagnie. GLACE, par exemple, est une forme minimaliste, assez légère. Toutefois, certains projets, comme LES VAGUES, le troisième volet de ce cycle, met en scène cinq personnages de glace à taille humaine et génère un impact plus important en raison des contraintes techniques, impact que nous essayons de réduire au maximum en recyclant l’eau d’une représentation à l’autre par exemple et en mettant en place des tournées mutualisée.
Grâce à mes échanges avec Maurine, j’ai appris à mieux comprendre quel pouvait être mon positionnement par rapport à ces questionnements et aux contradictions que suscitent nos professions. Tout comme les chercheurs qui sont parfois emmenés à partir en expédition en Artique ou en Antarctique nous ne pouvons pas avoir un impact zéro. Il s’agit d’arbitrer entre l’impact écologique de nos créations et les bénéfices des messages que nous portons. L’important est d’avoir une vision globale et de faire les choses en conscience, sans porter un message culpabilisateur. C’est d’ailleurs une approche que nous appliquons dans nos échanges avec les publics notament avec les adolescents qui y sont très sensibles.
Ce travail a-t-il généré d’autres changements au sein de votre compagnie ?
Ces échanges avec Maurine, qui est par ailleurs très ouverte aux nouveaux modes de gouvernance et aux méthodes de rapports non violents, m’ont également fait m’interroger sur l’écologie de la relation au sein de la compagnie. Quelles postures, quels liens, quelles relations peuvent évoluer ? Nous avons amorcé une réflexion sur des modes de collaboration plus collectifs, en évitant toute emprise sur les personnes. Nous n’avons pas encore de réponses définitives, de protocole précis, mais des changements sont en cours… C’est un processus long qui nous demande de porter de l’attention et de prendre du temps pour expérimenter d’autres fonctionnements.
Et Maurine, quels bénéfices a-t-elle trouvés en prenant part à cette aventure ?
Pour Maurine, ce projet représentait une grande ouverture. Cela lui a permis de sortir du cadre institutionnel scientifique, et d’explorer de nouvelles formes de communication.
Elle a découvert que la glace n’est pas seulement un matériau froid, conservant les informations du passé, mais aussi un révélateur de rêves et d’émotions. Cette aventure artistique a renouvelé sa manière de communiquer sur des sujets scientifiques, souvent perçus comme plombants ou déprimants. En apportant du sensible et en favorisant une participation active des spectateurs, cette approche semble plus efficace pour transmettre des messages, engager le dialogue, voire proposer des pistes d’action.
C'est important, en tant qu'artiste, de sentir qu'à travers des aventures artistiques, on contribue à une aventure collective.